Le témoignage de Guy Tournière

La mémoire paysanne est importante comme le montre ce témoignage que nous a apporté Guy Tourniaire sur Ansouis. Etienne Roueff et Lionel Guin ont recueilli ses propos :

Nous sommes allés à la rencontre d’un Ansouisien agriculteur depuis soixante ans.

Guy nous attend un matin de ce mois de mai peu ensoleillé, alors qu’il cure un des ruisseaux attenants à son chemin d’accès, encombré par les débris du dernier orage.

Guy Tournière et Lionel Guin

Nous commençons à deviser en remontant le chemin vers le haut de ses terres au fond du vallon du Coulet blanc, devenu son fief après tant d’années d’un dur labeur.

Sa famille : son grand-père, s’est installé ici à Font Blanche, en 1912 il y a plus de cent ans!

Le bâtiment principal, ou maison de maitre, date d’avant la révolution, nous dit-il. Dans ce domaine il y a eu deux moulins successifs avec des retenues d’eau pour les alimenter. Une de ces retenues, la plus ancienne, est encore en partie visible derrière la deuxième maison : c’est un mur en pierres, arrondi comme un barrage. En dessous un reste de tuyau affleure dans le chemin, c’était la conduite d’eau pour alimenter le moulin du dessous.

La maison attenante était une habitation en plus du moulin, il y a une meurtrière sur la fenêtre sud, comme si un garde s’y tenait pour veiller…au grain! Et surveiller la venue d’un ennemi éventuel….

Il y a même en dessous une autre « cure » qui servait peut être d’échappatoire si le meunier et son garde étaient encerclé?

L’eau de façon générale arrivait le long des routes et chemins par des fossés, depuis le haut des collines, c’est un de ces fossés que Guy nettoyait après l’orage. Nous montons le chemin, et Guy nous décrit les plantations actuelles, étagées le long de la vallée du Picauvaud, des vignes de différents cépages, Merlot, Syrah et Grenache.

Puis plus haut nous découvrons le bassin qu’il a reconstruit et agrandit, changé d’argile en béton, en 1983 alors qu’il s’était installé huit ans avant en reprenant l’exploitation de son père, en 1975. Le bassin fait environ trois cent trente mètres cube d’eau, et se vide par une vanne à main dans le ruisseau qui s’écoule ensuite plus bas dans le Marderic. Les ragondins d’autrefois ne sont plus très présents, mais il en voit parfois.

Guy a réhabilité la maison de maître du 18°, ses père et grand père n’avaient pas voulu ou pu le faire. Il y habite et elle domine le bas du vallon et la plaine vers Cucuron et Lourmarin.

Dans un hangar il est fier de nous montrer ses tracteurs, le plus ancien de 1962, appartenait à son père, celui de 1966 un Ford à boite électrique, un de 1968 et le «  bébé » de 1986, plus moderne: il a plus de trente ans! Il les garde en état de marche pour ne pas avoir à défaire à chaque fois les machines différentes accrochées derrière. A presque 80 ans il n’en a plus la force.

Guy Tournière et son tracteur

Son chemin, ancienne route de Pertuis par le domaine Val Jouannis, a été refait il y a trois ans et chargé de gravillons, ce qui facilite les transports par temps de pluie. Il nous décrit enfin les deux ponts, l’un au sud qui a remplacé le gué de son enfance quand il le passait pour aller à l’école, et l’autre au nord, sur le même Marderic, qui a été refait en1980 après des dizaines d’années où ce n’était que deux poutres traversant le ruisseau! En Aout 1986 une crue énorme a quand même submergé le pont.

Pour clore le paysage environnant il évoque la charbonnière abandonnée sur la crête sud, puis se tournant vers la plaine il nous décrit les habitations visibles de chez lui correspondant chaque fois à une famille connue du village, lui est au dessus et les voit bien….

Les vignes ont été données à sa retraite en 2003 à ses neveux, son fils étant instituteur comme sa mère à Ansouis, n’en faisant pas usage, mais lui Guy a gardé deux cultures essentielles pour cette période soi disant plus calme de la vie: il a planté en deux fois, 2003 et 2004, cent dix oliviers magnifiques, en fleurs ces jours et prometteurs d’une bonne récolte (de 1 à 2 litres par pied selon l’année).  De ce coté nord le champ d’oliviers est dominé par la forêt communale de pins coupés tous les quarante ans environ par les forestiers, alors que les chênes ne l’ont pas été depuis 1945.  

Guy et ses oliviers

Tout en bas il y a le petit bois de chênes truffiers plantés il ya dix ans environ, et surtout son potager qu’il cultive avec sa femme Suzanne, un rang de melon, un d’asperges (magnifique) un de fraises et bientôt des haricots… il en est content et ce n’est que le début des plantations pour cet arpent personnel! Ainsi ce vallon si longuement et patiemment décrit dans sa diversité est bien le sien – pas d’erreur, berceau de sa famille ce Coulet ou Collet blanc est et a été le travail de toute une vie et avant et après lui aussi, qui ont permis à toute cette famille de vivre bel et bien depuis un siècle et plus. On y voit la main de l’homme, son travail qui a transformé le paysage, la nature. Et a nourri tant de gens. Nous redescendons à la maison et nous installons pour continuer la conversation. Après toute cette description in situ de son activité, nous revenons à un récit chronologique.

Guy se raconte. Après l’enfance il fut de ce temps du service militaire en Algérie où il resta plus de deux ans (1959 à 61) en tant que conducteur d’automitrailleuse; il nous cherche et nous montre ses diplômes militaires, et est devenu le porte drapeau des Anciens combattants.

Quelques temps après son retour il a l’occasion de partir se former en agriculture plus technique au Canada; il y restera quatre ans essayant beaucoup de métiers dont chauffeur de multiples véhicule, est sur le point de passer son diplôme de moniteur d’auto-école. Il s’essaie aussi en hiver à vendre des aspirateurs, dont il plaisante en disant qu’il réussissait si bien qu’il regretterait presque d’être revenu à l´agriculture! Et fait même du tissage en usine……il travaillait déjà beaucoup.

Guy et Etienne Roueff au bord du bassin

Mais il rencontre Suzanne venue pour un stage; elle veut rentrer en Provence, alors il revient à la ferme familiale, se marie et développe auprès de son père, puis à son compte le domaine familial comme il nous l’a décrit auparavant. Il se montre grand travailleur: pas de congés, pas de dimanche ou si peu, des semaines sans coupures. Guy a toujours une idée d’avance, suit de près la technique agricole et ne rate pas les occasions de se développer comme l’année où il a agrandi le bassin ce qu’il nous a déjà raconté.

Il nous parle de la vie de paysan à Ansouis: en 1953 il y avait 150 exploitations agricoles dans la commune. Désormais ils sont à peine dix ! La vie était dure, lever tôt, activités diverses selon le temps, la période, les aléas du commerce agricole….être tout le temps vigilant, laisser peu au hasard, le moins possible; peu à peu les cultures sont moins rentables, les enfants ne reprennent plus derrière, ils font des études ou d’autres métiers «  mon fils est instituteur comme sa mère ». Et la mécanisation a tué le métier, dit-il, assécher les terres, sans parler ensuite des produits pour intensifier, en quelque sorte la «  chimiquisation » de l’agriculture, mais aussi des circuits de distribution qui sont de plus en plus durs pour les producteurs… les profits diminuent comme peau de chagrin! Mais il ne regrette rien. Plusieurs fois il nous dira «  c’est le plus beau métier du monde, mais trop exigeant pour les jeunes générations.

Autrefois trois hectares de culture nourrissaient une famille; maintenant ce n’est plus possible. Les collègues continuent à travailler leurs terres mais travaillent à côté pour survivre! » Il poursuit « Donc autrefois on faisait des asperges, des melons, des légumes : carottes, navets, pommes de terre, du sainfoin pour les chevaux, des chênes… mais on avait toujours peur du mauvais sort: l’orage de grêle, la sécheresse, le vent, un accident de machine ou d’homme! Tout cela il fallait le prévoir, avoir de l’argent de côté pour les mauvais jours, les récoltes maigres, les ventes difficiles.. ». Sans oublier les vignes qui dans les dernières décades ont pris le dessus et enfin les oliviers.

Les premières à disparaitre furent les asperges : la terre avait pris le virus. Les melons arrêtés avant 2000, culture trop dure et plus d’ouvriers pour les ramasser. Puis une année de gel (1986) élimine carottes et navets, il passe aux patates qui bientôt sont achetées trop bas par les grossistes; c’est là qu’il a l’idée comme d’autres de tournées pour vendre au porte à porte vers le nord, les Alpes, Barcelonette par exemple. Mais après quelques années il faut arrêter aussi, car plus de rentabilité. Il reprend son commentaire «  le paysan ne fait pas grève, ses produits sont périssables ». Pour compléter les manques à gagner, il avait proposé aux communes alentour de faire l’entretien de leurs chemins; il a fait cela 17 ans! Bientôt il n’y a plus que des vignes dont il développe le rendement. Il les confie en 2003, à sa retraite à ses neveux, puis il plante et garde pour lui une centaine d’oliviers pour s’occuper, et le beau potager pour une production familiale.

Enfin il fait allusion à son don de sourcier découvert sur le tard mais qui lui a bien servi et à quelques autres aussi! Voilà à presque 80 ans Guy a une vie derrière lui pleine et intense, une réussite, une satisfaction qui font de ses récits une belle musique dans nos oreilles!

Mais avec lucidité et tristesse il conclue sur l’avenir de la paysannerie qui lui semble très compromis «  les petits viticulteurs réunis en cave coopérative pour produire le vin du pays vont vite disparaitre rachetés par des groupes importants » dit-il; c’est donc sur cette note un peu pessimiste que nous nous quittons pour cette fois!

Car c’est un conteur et il n’aurait jamais fini de raconter les belles histoires de sa vie de paysan d’Ansouis. Merci Guy.

En plus

Ces paroles ont été recueillies par Lionel Guin et Etienne Roueff.  Elles sont parues d’abord dans l’écho du patrimoine n°5 de septembre 2018 de l’Ansouisien

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