Le rémouleur qui venait du froid …

Voici un conte écrit par Jean-Claude Rey.

Né à  Villelaure, le 18 novembre 1937,  mort à  Pertuis (Vaucluse) le 30 août 2007, Jean-Claude Rey, le conteur du Luberon, était conteur et écrivain.

Ancien journaliste au Méridional-La France, chroniqueur à Radio-France, il a exercé quelques métiers variés avant de retrouver la vocation familiale des conteurs. Il animait des veillées vétu de son chapeau en feutre noir et de sa cape de la même couleur.

Il a écrit une trentaine d’ouvrages sur l’histoire et la culture de notre pays d’Aigues : citons «Ca c ‘est passé en Provence » (3 tomes) , «Le conteur et la colombe » (édition Temps jeunesse) ; «Brèves de conteur» et «nouvelles brèves de Conteur », «tout l’humour de la Provence »,  « Les mots de chez nous » tous aux Edition Autres Temps.

Lionel Guin et Thierry Fouque

(Les photos illustrant cette chronique sont de Lionel Guin)

Entre 1890 et 1900, il y eut un méchant hiver qui s’abattit sur les contreforts du Luberon.

Le thermomètre de M.Benoit, régisseur du domaine de la Bonde sur le territoire de la Motte d’Aigues, accusa plus d’un matin 15 degrés sous zéro.

vigne sous le neige

Puis durant 2 jours, le temps redevint clément.

Mais il neigea en abondance.

Le Luberon avait pris sa figure alpine… Il n’était plus question pour les Cucuronnais d’aller veiller à Auribeau en empruntant nuitamment les sentiers des combes sauvages.

La vie s’arrêtait dans le froid et la neige.

M. Benoit était ravi de voir tomber la neige… Elle allait confortablement réalimenter l’étang et assurer à la source du Mirail assez d’eau pour les cultures environnantes….

Mais pour l’heure, l’étang, avec ses 320 éminées[1] prises par la glace et recouvert de près de deux pieds[2] de neige, ressemblait à une vaste plaine.

M. Benoit, ce matin là, considérait cette impressionnante étendue immaculée, depuis la terrasse dominant le plan d’eau.

Un léger soleil perçait les nuages et avivait la blancheur du paysage.

Le régisseur allait retourner dans le château pour vaquer aux intérêts de M. Fanes, le propriétaire du domaine, mais s’arrêta dans son mouvement…

Il venait d’apercevoir un point noir sur la neige de l’étang, loin là-bas en direction de Cabrières d’Aigues.

Le point noir se déplaçait …. M. Benoit caressa un instant l’idée qu’il s’agissait d’un sanglier venu du Luberon, mais il ne s’agissait pas de cela.

La silhouette se précisait… Elle approchait du château. Et c’était un homme.

Malgré le froid, M. Benoit en eut une sueur.

Un piéton sur l’étang où la neige cachait la glace peut-être friable… Cet homme allait sûrement à la mort en approchant du centre du plan d’eau.

M. Benoit alerta sa famille.

– Venez voir, il y a un fou sur l’étang…il va faire craquer la glace sous ses pas …. Préparez des cordes, la barque, des couvertures.

Ainsi fut fait. Le piéton avançait toujours sur la neige et, sans le savoir, sur dix mètres d’eau gelée.

Il arriva vers le centre de l’étang … Sur la terrasse du château, M. Benoit et ses enfants criaient des avertissements au malheureux qu’on s’attendait sans cesse à voir disparaître dans l’eau noire.

Peine perdue, l’homme répondait aux signaux avec ses bras et continuait d’avancer.

Enfin, le point critique fut dépassé. L’homme était à moins de cent mètres du château et continuait à agiter son chapeau vers le comité d’accueil.

C’était un rémouleur qui venait des vallées de haute Provence chercher du travail et proposer son art aux fermes de la région. Il portait sa meule à pédale sur l’épaule.

On le connaissait peu. Il était sourd comme un escargot… Pas étonnant qu’il n’ait pas répondu aux appels et avertissements.

L’homme avait imperturbablement traversé l’étang gelé. C’était surement un brave.

conte de Noël de JC Rey
Plus de rémouleur en 1980 ! simplement quelques curieux pour « tester » la solidité de la glace de la Bonde !!!

M. Benoit le complimenta pour son courage. Il répondit après avoir lu sur les lèvres du régisseur : – Oh, moi, il faut bien que je sois courageux. Je gagne ma vie avec mes jambes. Tantôt je marche, tantôt je pédale et j’aiguise à longueurs d’année depuis trente ans déjà. Mais, braves gens, merci pour votre accueil agréable. Je voyais vos signes de bienvenue depuis le milieu de la plaine que je viens de traverser.

L’homme avait traversé l’étang glacé et enneigé en croyant marcher sur une plaine. On se fit répéter la fin de la phrase. Le rémouleur répéta : – Oui, du milieu de cette plaine, vos signes amicaux me permettaient de moins sentir mes pieds froids. Mais dites-moi, monsieur, c’est un beau champ. Il fait au moins ses 200 éminées. Peut-être même 300 à vue d’oeil. Dommage que ce soit si plat. Ce terrain doit vous poser des problèmes pour l’arrosage.


[1] La surface de l’éminée est de 625m2. Cette mesure traditionnelle équivaut au terrain pouvant être ensemencé par le grain contenu dans une émine, mesure de volume.

[2] Le pied égale environ 30 cm.

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