Paulette et Alice sont les doyennes de la petite communauté qui habite la Campagne Martialis à l’est d’Ansouis. Elles ont bien voulu raconter pour Ansouis Patrimoine leurs souvenirs sur le quartier.
Martialis
Martialis est cette grosse bâtisse flanquée de deux tours en contrebas de la route entre Cabrières et Pertuis, au croisement avec la route d’Ansouis à la Tour d’Aigues. Pour les habitants de la région, il suffit de dire en dessous de l’Art Glacier, pour qu’ils situent.

Cette maison a été pendant deux siècles et demi, une bastide aixoise occupée par des nobles de la capitale provençale. Elle avait chapelle, tours d’angle, salon d’apparat. En 1858, elle est entrainée dans la faillite personnelle du Comte Henri Maxime Philippe de Renaud d’Alleins. Les terres et propriétés sont mises en vente par un jugement du Tribunal d’Apt.
Le château est acheté par un marchand de bien de Sannes avec l’argent de sa femme. Celui-ci va revendre par appartement la bastide et les terres dont il s’est rendu acquéreur.
Sans se perdre dans les détails des ventes et revente des biens, trois familles ont acheté les biens et des terres, et sont encore là : les Caste, Les Girard (aujourd’hui les Fouque), les Féraud (aujourd’hui les Jaubert). Ces trois familles arrivaient des contreforts du Luberon entre Cucuron et Cabrière d’Aigues.
La vie de la ferme avant la 2ème guerre
La ferme des Caste est une exploitation de polyculture vivrière comme il en existe beaucoup dans le Pays d’Aigues. Les terres produisent d’abord pour la consommation des habitants, accessoirement pour la vente.
L’eau était nécessaire en abondance pour les habitants, les animaux et les jardins. Au début elle devait provenir du grand bassin à l’ouest du château. Faute d’entretien celui-ci se tarit à une date inconnue. Une éolienne permet alors d’alimenter en eau les petits bassins où l’on recueille l’eau. Vers 1930, le mistral abat l’éolienne, que le grand-père de Paulette et Alice, Jules, remplace par un groupe électrogène. L’arrivée quelques mois après de l’électricité sur la ferme permet de faire fonctionner la pompe.
Pour travailler les terres, le fermier utilise des chevaux et des mulets. Ils sont abrités dans l’écurie à l’est du château. Le package et le fourrage sont assurés par le grand pré qui borde le Mardéric entre Martialis et le Bastidon. Cette ressource étant rare et indispensable, elle est partagée entre plusieurs propriétaires. Outre les Caste, d’autres fermiers viennent y mener leurs bêtes : les Esparon qui habitent ce qui est devenu le domaine des Marchand, les Curnier puis les Théry, les Tissot. Un Tissot est un jour renversé par la foudre alors qu’il fait les foins.
Une autre ressource communautaire est le grand jardin qui se trouve de l’autre côté de la route. Il est irrigué par un bassin et partagé entre plusieurs exploitants. Chacun a un jour de droit de soutirage de l’eau. Les Caste peuvent irriguer leur portion le samedi (jour qu’ils échangent parfois avec Gaston Arniaud qui habite à côté du bassin).
Le blé est la principale culture de la ferme. Il demande de la main d’œuvre pour la moisson et le battage, les habitants de Martialis s’entraident. Armand Guirand a repris la conduite des terres des Féraud lorsque l’héritière a épousé un instituteur, Charles Jaubert. Lui et André s’assistent pour le labour, la moisson et le battage du blé. Ils sont parfois aidés par les petits-enfants de Malvina Curnier ou des cousins Caste venus d’Aix ou Marseille. Les Caste font le battage au Bastidon.

La vigne est la deuxième culture importante. Elle permet de faire du raisin de table qui se vend bien, et du vin pour la consommation personnelle. Les frères Jules et Paul Caste partageaient un pressoir ambulant qui se déplaçait entre les fermes. Dans les années 1990, on pouvait encore le voir trôner devant la ferme des Marchand. Le résultat du pressage était ensuite entreposé dans de vastes cuves et tonneaux dans les caves des fermes.
Dans les années 1920, des coopératives viticoles communales sont implantées auxquelles les paysans sont invités à participer. Elles doivent permettre d’industrialiser la vinification et faciliter la commercialisation. Les frères Caste vont faire des choix différents. Paul, qui habite la ferme des Marchand rejoint la coopérative de la Tour d’Aigues où habite encore la grand-mère Marie. De plus elle s’accède facilement depuis sa ferme. La pente descend constamment, facilitant le travail de l’attelage qui tire la charrette pleine. Jules habite le Bastidon puis Martialis. Aller à la Tour d’Aigues depuis le Bastidon suppose de remonter la cote jusqu’au croisement avec la route de la Tour d’Aigues. Econome des forces de ses bêtes, Jules décide donc de s’inscrire à la coopérative d’Ansouis.

Il y a peu d’oliviers sur Martialis, mais Jules avait quand même deux rangées à côté du cabanon construit par son père Cyr le long de la route de Pertuis. André, son fils, emmenait cette production à un moulin de Manosque pour faire de l’huile.
La vie de la ferme est troublée par la guerre en 1944. A ce moment, les Caste abritent au dernier étage de Martialis un ouvrier agricole. Intrigués par la lumière, les occupants croient qu’il s’agit d’un maquisard. Le jeudi, les miliciens français viennent au château et menacent André Caste avec un pistolet. Le dimanche, ce sont les allemands qui arrivent pour perquisitionner, à la recherche de l’éventuel maquisard ou d’armes. Ils terrorisent la vieille voisine, Malvina Curnier qui essaie de cacher avec son dos le fusil de chasse de son mari Abel. Puis, ils visitent la partie occupée par les Caste. N’ayant rien trouvé (André enterrera son fusil pour le cacher), ils s’installent dans la cour du château pour déjeuner. Mais ils ne sont pas rassurés. Les américains ont débarqué et disposent de la maitrise de l’air. Lorsqu’un avion survole les collines, ils conseillent aux fermiers de ne pas se montrer pour éviter un mitraillage ou un bombardement. Enfin, les allemands partis, au mois d’août suivant les habitants du château voient passer les troupes américaines se dirigeant vers Cabrières.
Vie quotidienne dans les années 40 et 50
A partir de 1950 environ, toutes les terres sont louées pour le pâturage à Etienne Belmondo, le berger italien qui s’est installé d’abord à Saint Maurin, puis sur la ferme de la Pourrette. Celui-ci fait paître ses moutons sur les champs, qu’ils nettoient de toutes les mauvaises herbes. La bergerie s’arrêtera de produire des agneaux dans les années 1970.
Il restait beaucoup de muriers, vestiges de la culture industrielle de vers à soie qui existait au XVIII° et au XIX°. Il y a aussi de nombreux amandiers. La récolte se faisait lorsque Marthe Curnier, la fille de la voisine venait à la ferme. Elle donnait un coup de main pour écosser les amandes.
A proximité de la ferme, il y a aussi beaucoup de travail pour les femmes. Il faut faire des conserves avec les produits du jardin. Il faut aussi nourrir la basse-cour. Il y a des poules, des canards, des pintades et des lapins pour la consommation de viande et d’œufs de la famille. Assez peu étaient vendus. Il y a aussi un ou deux cochons, qu’un boucher de Pertuis, monsieur Blanc, venait abattre et découper. Enfin il y a deux chèvres qui permettent d’avoir des tomes de fromages (accessoirement elles portaient la petite Alice lorsque tout le monde allait au jardin).

Pour ce qui manquait, les commerçants se déplaçaient à l’époque. Trois fois par semaine, le boulanger d’Ansouis, Monsieur Coulon, faisait la tournée (la tournée fut réduite ensuite à deux passages hebdomadaire avant de disparaître). Chaque semaine, il y avait aussi un épicier, Carmagnol, et un poissonnier dit « Pas joli » par un enfant irrévérencieux.
Tous les jours, il y avait aussi la tournée du facteur à vélo.
La viande rouge s’approvisionnait chez M. Blanc, le boucher. Celui-ci attendait dans sa boutique place de la Diane à Pertuis, lorsque la famille allait au marché du vendredi.
Aller à l’école était compliqué lorsqu’on habitait loin du village. Outre la longueur de la marche, il fallait compter avec les intempéries qui pouvaient rendre les chemins impraticables l’hiver. André avait sa grand-mère à la Tour d’Aigues. Il allait donc à l’école dans ce village, en prenant au passage sa cousine Félicie, la fille de Paul et Noémie. Sa future femme, Valérie, habitait Soulière et avait ses deux grands-mères au village d’Ansouis. En arrivant au village, elle allait saluer ses ancêtres, regardait ce qu’elles faisaient à manger et choisissait chez laquelle elle irait prendre le déjeuner.
Jusqu’à neuf ans, Paulette alla à l’école à Ansouis où elle avait encore une grand-mère. Elle fréquentait la petite classe qui se trouvait à côté de la mairie (les grands avaient école plus haut à côté de l’église). Après le départ de la grand-mère, elle va en pension à l’Immaculé Conception à la Tour d’Aigues. Alice va directement au pensionnat, et continue dans l’institution de l’immaculée conception à Avignon.

Reconversion
A partir des années 50, la ferme sort lentement de l’agriculture vivrière. Les tracteurs et la camionnette remplacent les chevaux et les mulets, les engrais minéraux permettent d’augmenter les rendements. Plus besoin de calculer les distances et les efforts en fonction des forces des bêtes et des hommes. Les exploitants se tournent vers des cultures commercialisables.
Dans un premier temps, la région suit la conversion de la vallée de la Durance. André plante des melons et des asperges. Devant la maison, Tissot fait du champ qui longe aujourd’hui le chemin d’accès un verger de pommiers. Le grand père Fouque qui a épousé Marthe Curnier fait planter des cerisiers.
Roger, après le décès de son père André, se risque à l’ail et aux carottes.
Dans un deuxième temps au cours des années 1970, la viticulture envahit tout. Les paysans rachètent des droits à planter dans d’autres régions. Les machines à vendanger permettent d’économiser la main d’œuvre.
Un rééquilibrage se fait au cours des années 90. On plante du tournesol, du maïs, des céréales, sans abandonner la vigne.
Aujourd’hui tout le monde est à la retraite à la ferme et profite d’un repos bien mérité. Les terres sont exploitées par d’autres, les enfants ont choisi d’autres professions que l’agriculture. C’est une autre époque qui est arrivée.
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