Plus terrible que l’onde aux vagues déchainées
La guerre en vrai fléau foule nos destinées
Comme Albert Point dont nous avons déjà raconté l’histoire, ils sont morts en août 1914 dans les premiers jours de la guerre. Voici leur histoire.
Avant la guerre
Gaston Clapier, Paul Carbonnel, Charles Giraudon et Albert Barnouin sont cultivateurs, fils de cultivateurs. Gaston Clapier, Charles Giraudon et Albert Barnouin sont nés à Ansouis, respectivement en 1884 pour les deux premiers et en 1891 pour Albert. Paul Carbonnel est né à la Motte d’Aigues en 1889.
Carbonnel et Giraudon se sont mariés avant la guerre, Giraudon avec Augusta Sarlin le 29 août 1908 à Ansouis ; il habite avec son épouse au quartier de Soulières lors du recensement de 1911. Carbonnel se marie à Ansouis, le 17 novembre 1912 avec Georgette Pin.
Gaston Clapier, Paul Carbonnel et Charles Giraudon ont fait leur service militaire au 58ème Régiment d’Infanterie (58ème RI) comme beaucoup d’habitants du Vaucluse. Albert Barnouin a été mobilisé le 10 août 1913. Il a incorporé le 4ème régiment de zouaves, une unité coloniale, cantonnée à Tunis. Il est toujours sous les drapeaux à la déclaration de guerre.
Dans la guerre avec le 58ème RI
Gaston, Paul, et Charles rejoignent le 58ème RI dès la mobilisation générale et suivent l’odyssée du 58ème racontée dans la chronique d’Albert Point.
Le 10 août le régiment entre dans la Lorraine annexée par les Allemands. Gaston Clapier disparait le 11 août 1914 lors des premiers combats à Lagarde.
Le régiment continue à avancer vers Dieuze. Paul Carbonnel meurt le 20 août 1914, lorsque l’artillerie et les mitrailleuses allemandes finissent de désintégrer le 58ème RI.
Ce qui reste de troupe au 58ème RI reflue alors avec les blessés. Le 25 août 1914, ils sont à Buzy (aujourd’hui Buzy-Darmont) dans le département de la Meuse.
Charles Giraudon meurt alors que Albert Point est capturé. Il est difficile de comprendre ce qui s’est passé ce jour-là. Ni le journal de marche du 58ème RI, ni l’historique du régiment ne parlent de combats à Buzy. En fin de journée le 24 août, ce qui reste du régiment part à la poursuite des Allemands mais le combat n’est pas engagé ni ce jour-là, ni le suivant. Sans doute y a-t-il une courte escarmouche non décrite.
Dans la guerre avec le 4ème Zouaves
Lors de la déclaration de guerre, le régiment de zouaves est coupé en deux. Une partie des troupes est à Tunis avec l’Etat-Major, et une autre partie est à Rosny-Sous-Bois en région parisienne. Dans un premier temps, le régiment se regroupe à Rosny. Les troupes en Afrique quittent Tunis le 4 août, traversent la Méditerranée à partir d’Alger et arrivent à Rosny le 14 août. Ils font alors route vers le front. Le 22 août, ils sont à Tarcienne, un village de la commune belge de Walcourt. Le 23 août, ils rencontrent les survivants des combats précédents. C’est leur premier contact avec la guerre.
« Au petit jour des isolés et de petites factions passent sur la route. Ce sont des débris des régiments décimés la veille au Chatelet. L’aspect de ces hommes déprimés produit une impression fâcheuse. Quelques officiers s’emploient à empêcher certains de ces militaires (notamment un lieutenant du 74ème) de semer le découragement par le récit de la défaite à laquelle ils viennent d’assister. Les isolés passent et bientôt s’efface l’impression par eux produite un instant tellement est grande la confiance des zouaves et élevé leur moral.[1] »
Les combats commencent dès le matin et vont durer toute la journée, pour finalement voir le régiment devoir se replier en fin de journée devant un ennemi supérieur en nombre et en armement. « Le tir commença vers 7 heures. On riposta. Les batteries du 32° firent dès cette première action l’admiration des Zouaves et c’est alors que s’engagea entre Zouaves et Artilleurs de la 38° une confiance qui ne devait plus disparaître.
Des Hussards ennemis se montrèrent tout d’abord en avant de Gerpinnes. Ils furent arrêtés par nos mitrailleuses. Les colonnes allemandes qui cherchaient à déboucher furent maintenues jusqu’au soir.
Pourtant, à 19 heures, l’ennemi, supérieur en nombre, nous tourne par la gauche. Il faut songer à un repli, abandonner le talus provisoire édifié la veille et se reporter en arrière sous une fusillade violente qui bientôt part des premières maisons de Tarcienne.
Les habitants épouvantés fuient en tous sens, gênent notre mouvement déjà si difficile. Beaucoup d’hommes tombent, néanmoins le repli se fait en bon ordre.
On se retire en direction de Somzée.
Pour échapper aux balles, par instant, les Zouaves arrachent aux meules des gerbes de blé et s’en servent de boucliers. Ces gerbes mouvantes tombent, rougissent de sang, mais beaucoup se relèvent, bondissent, se couchent pour rebondir encore et peu à peu les sections se reforment Les mitrailleuses du Lieutenant Helbert (4ème bataillon) continuent à tirer jusqu’au dernier moment. Cet officier, qui, seul fera toute la campagne avec le régiment, n’échappe à la mort en cette première circonstance que grâce à son énergie el à son sang-froid. Blessé légèrement, empêtré dans une clôture en fil de fer, il parvient à se décrocher juste à temps pour éviter le coup mortel que l’ennemi ajuste à quelques pas de lui. Il peut enfin rejoindre le reste de sa section avec la mitrailleuse qui vient de faire tant de mal à l’assaillant.
Tous ne l’ont pas pu, et le soir au bivouac installé dans les champs qui avoisinent Laneffe, il y a des absents.[2]»
Albert Barnouin ne verra pas la suite, il est mort ce jour-là d’après son acte de décès.
Après le combat
Les journées du 20 au 24 août 1914 constituent un pic de violence. 40 000 français meurent au combat, avec un sommet à 27 000 morts le 22 août[3]. Ce jour là meurent plus de soldats que pendant toute la guerre d’Algérie. Les corps mutilés, défigurés restés sur le champ de bataille sont difficilement reconnaissables. L’armée a autre chose à faire que de reconnaitre les morts et de les enterrer. Les journaux de campagne des régiments essaient de donner le nombre de morts, information importante pour savoir si l’unité militaire est encore opérationnelle, mais ces morts sont anonymes.
La reconnaissance de la mort prend du temps. La mort de Charles Giraudon est confirmée par un jugement du tribunal d’Apt du 20 février 1917, 3 ans après. Celle de Paul Carbonnel est reconnue par le même tribunal le 20 avril 1920. Albert Barnouin est reconnu décédé le 9 février 1921. Le cas le plus étrange va être celui de Gaston Clapier. Son livret militaire le désigne disparu le 11 août. Toujours d’après le livret, sa mort est confirmée par une source allemande, une note retrouvée le 21 septembre 1915. Mais sur la fiche de décès écrite le 1 décembre 1920 toujours par le Tribunal d’Apt, il est déclaré mort entre le 20 et le 27 septembre 1914 à Saint Mihiel dans la Meuse.
En attendant les épouses ne peuvent pas se remarier, les héritages ne peuvent être versés, les aides pour les enfants ou les familles ne peuvent être versée.
Au recensement de 1921, Georgette Carbonnel, l’épouse de Paul est retournée dans sa famille. Augusta Giraudon, la veuve de Charles, habite Place des Hôtes dans le village. Elle est journalière, autrement dit ouvrière engagée et payée à la journée. Sa vie matérielle devait être difficile.
Tous ces hommes sont sur la plaque dans l’église et sur le monument au mort. Paul Carbonnel a une plaque personnelle sur la tombe de famille dans le cimetière d’Ansouis (elle fait l’illustration d’en-tête de cette chronique, ainsi que la devise en exergue).
Crédits
Texte de Thierry Fouque.
Photo de la plaque au cimetière par T.Fouque,
Lors de la préparation des cérémonies du centenaire en 2014, l’Amicale des Anciens Combattants d’Ansouis avait recensé les soldats sur le monument, établi leur date de naissance, et retrouver leurs régiments. Cette base de travail a facilité la recherche dans les archives.
Livrets militaires, actes d’états civils, recensements sortis des archives départementales du Vaucluse (AD84)
Journaux de marche et fiches de décès extraits de Mémoire des hommes (base numérique du Ministère de la Défense)
Historique des régiments dans la base Gallica (base numérique de la Bibliothèque Nationale de France)
[1] Journal de marche du 4ème régiment de zouaves (base « Mémoire des hommes » du ministère de la défense)
[2] Historique du 4ème Zouave (base Gallica)
[3] Préface de Stéphane Audouin-Rouzeau au livre de Jean-Michel Steg « Le jour le plus meurtrier de l’Histoire de France 22 août 1914 » (Fayard 2013)

Laisser un commentaire