Devant chaque ferme de notre Pays d’Aigues, vous verrez ces gros rouleaux de pierre abandonnés. Ils sont souvent à côté d’une surface plane. C’est l’aire de battage de la ferme, là où l’on séparait le grain et la paille.
Contrairement à ce qui est souvent entendu l’agriculture ne commence pas par le labour de la terre et les semailles du blé. Les tribus de chasseurs-cueilleurs savaient bien que s’ils mettaient les graines en terre, elles germeraient, et que s’ils avaient remué la terre avant, les graines germeraient plus facilement. Dans toutes les forêts, les steppes et les savanes fréquentées par des humains, la part des plantes consommables est importante.
Par contre, le battage est le signe d’une nouvelle étape de l’histoire humaine, du passage du monde des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs, étape qui arrive par un très lent processus de transition.
Lorsque les chasseurs-cueilleurs cueillent des graminées, ils choisissent les graines qui sont encore sur la tige de la plante. Ils ont bien compris que le grain tombé en terre n’est pas sain à manger. Ils séparent ensuite la paille et le grain, en faisaient deux tas des grains, l’un destiné à la consommation, l’autre à être semé et remis en terre[1].

Le fait de choisir systématiquement des graines accrochées à la paille constitue une forme de sélection. Seuls sont semés les grains qui, à maturité restent accrochés à la tige. Au bout de quelques années, voire quelques siècles de sélection, la plante est génétiquement modifiée. Jamais les grains ne tombent naturellement au sol pour germer. Il faut l’intervention de l’homme pour séparer le grain et la paille, puis le semer.
L’autre intérêt de cette sélection a été de ne conserver que des grains contenant du gluten, c’est-à-dire les protéines qui permettent de faire lever la pâte, et donc de produire du pain. Enfin on ne gardait que les plants qui avaient beaucoup de grains accrochés à la tige. Le blé, première céréale obtenue par cette sélection, a permis de nourrir des populations plus nombreuses que le seul apport de la chasse et de la cueillette.
Il y avait donc une symbiose entre l’homme et la plante. Pour nourrir les villages qui apparaissaient, il fallait du blé, pour semer du blé, il fallait des humains. Cette symbiose est apparue au Proche-Orient, quelque part du côté de Bassora en Irak il y a environ 9000 ans avant notre ère. Dans d’autres régions du monde, le même processus lent de sélection fit apparaître le riz, le maïs, le sorgo.

Le battage, l’opération consistant à séparer le grain et la paille, était donc au cœur du processus de fabrication de la nourriture. Cette opération, dite aussi dépicage se faisait au moyen de grands fléaux avec lesquels on battait le blé, puis toutes les céréales que l’on cultivait (seigle, orge, avoine, etc.). Les cultivateurs passèrent ensuite au foulage, consistant à piétiner le blé pour faire la séparation, ou le faire piétiner par des animaux, et pour finir, passèrent au foulage au rouleau[2].
Celui-ci se faisait sur l’aire de battage, une surface plane, dure (on renforçait le sol en l’empierrant, voire en faisant une véritable calade).

Au milieu on plantait une sorte de mat, auquel était accrochée une corde à laquelle on attachait un équidé, cheval, mulet ou âne. Celui-ci tirait un chariot auquel était accroché le rouleau. Les céréales à battre étaient disposées sur l’aire, et l’animal se mettait à tourner autour du mat en tirant le rouleau, celui-ci broyait les plantes séparant ainsi le grain. La corde s’enroulait sur le mat, attirant progressivement l’animal vers le centre de l’aire. Lorsque la corde était complètement enroulée, on retournait l’attelage pour refaire l’opération à l’envers. Lorsque le grain était séparé, on enlevait la paille avec de grandes fourches en micocoulier . Enfin les cultivateurs pouvaient ramasser le grain et le mettre dans des sacs pour l’emmener au moulin.

Le battage et le foulage ont disparus entre la fin du XIXème et le XXème siècle. On commença en utilisant des machines de battage, pour, en définitive, en venir aux moissonneuses-batteuses d’aujourd’hui.
Mais en vous promenant dans la campagne vous verrez ces rouleaux, souvent derniers vestiges du patrimoine agricole.
Crédits
Photos collection Thierry Fouque et ansouis Patrimoine sauf la troisieme photo collection Marc Deydier
[1] Voir sur cette partie Eric Birlouez La Civilisation du blé (2002- Phare international)
[2] Sur cette partie voir, Elie-Marcel Gaillard les blés de l’été ! au temps des aires (1997-Alpes de Lumières)

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