Albert Point, instituteur, historien et combattant

Retraçons l’histoire d’Albert Point, instituteur à Ansouis, historien du village et combattant aux premières heures de la Grande Guerre. Ses écrits sont la base de la Chronique des Municipalités d’Ansouis que notre association a publié cette année 2023.

Albert Point avant la guerre

Il nait Albert Hyacinthe Point à six heures du soir le 18 janvier 1885, rue de l’Eglise à Cucuron (Vaucluse). Il est le fils de Marie Boy, vannière, et de Louis Point, charron[1]. La famille ne devait pas être riche car son livret militaire signale qu’il était pupille de l’Assistance Publique du Vaucluse. Il a été retiré à ses parents par un jugement du tribunal d’Apt en date du 17 novembre 1892[2].

Quoiqu’il en soit, on le retrouve célibataire et instituteur dans le recensement 1906 de Châteauneuf-de-Gadagne. Il a le poil noir, les yeux gris, mesure 1m70[3]. Il se marie le 5 septembre 1906 avec Laurence Gimet, couturière.

Le 8 octobre 1906, il s’engage dans l’armée pour trois ans. Il est incorporé au 58ème Régiment d’Infanterie (58ème RI), régiment basé à Avignon[4]. A cette époque les recrutements se faisaient sur une base locale. La plupart des soldats du Vaucluse étaient cantonnés à Avignon.  Il passe ensuite au 61ème Régiment d’Infanterie cantonné à Aix en Provence, avant de revenir à au 58ème RI. Finalement il est démobilisé le 8 septembre 1907, à peine un an après son engagement. Est-ce l’armée ou Albert Point qui a décidé cette sortie anticipée ? Cela a dû être fait en bonne intelligence puisqu’il obtient un certificat de bonne conduite (mais pas d’avancement, il restera toujours 2ème classe).

Il a un premier enfant, René Albert, qui nait le 20 octobre 1907 à Saint Saturnin d’Avignon où il est instituteur, puis un deuxième enfant Simone Adèle née dans la même ville le 2 juillet 1909[5]. René Albert a dû décéder prématurément car il n’apparait plus ensuite.

Albert Point arrive comme instituteur à Ansouis le 30 septembre 1910. Il signe ce jour là l’inventaire des mobiliers laissés par son prédécesseur M.Boitelet [6].

La classe des garçons de 1908-9 avec M.Boitelet. Il n’y a pas de photos connues des classes d’Albert Point. Cette photo est avec l’instituteur précédent et sans doute la plupart des élèves qu’aura Albert Point.

Il emménage dans le logement de fonction de l’instituteur d’Ansouis où le trouve le recensement de 1911 avec son épouse Laurence et sa fille Simone[7]. Ce logement se trouve rue du Petit Portail dans le même bâtiment que l’école et la mairie. Les archives communales sont là aussi. Curiosité bien placée, il va ouvrir les poussiéreux sacs de jutes dans lesquels se trouvent ces archives. Il entame sur un cahier d’écolier une histoire des municipalités d’Ansouis.

Entrée de la mairie-école d’Ansouis à coté du Petit Portail

« La passion pour l’Histoire et la curiosité pour le passé du village d’Ansouis qu’il découvrait l’ont amené à se plonger dans les archives municipales qui étaient à l’époque conservées en mairie. Il épluchait ces lourds et volumineux registres dans lesquels étaient consignés, au fil des années les différents règlements, les élections, tous les événements qui jalonnent l’histoire du village. L’intention d’Albert Hyacinthe Point était de publier cette histoire des municipalités d’Ansouis.[8] »

La bataille de Lorraine

L’ordre de mobilisation générale du 1 août 1914 le trouve là. Il rejoint le 58ème RI à Avignon le 4 août. A partir de là on n’a plus de nouvelle d’Albert Point jusqu’à sa capture par les Allemands. Mais le journal de son régiment permet de suivre son unité, et on n’a pas de raison de penser qu’il ait suivi un itinéraire différent. Sur ces premiers combats de la guerre, voir aussi la chronique sur les compagnons d’armes.

Le 58ème, comme toute la 15ème armée à laquelle il appartient, a été incorporé au deuxième Corps d’armée, commandé par le général Castelnau. Positionné en Lorraine, il a pour ordre d’entrer en Allemagne. Le 10 août, le régiment passe la frontière à hauteur du village de Lagarde. Et le 11 août, s’abat un déluge de feu. « Bombardement intense du 3ème Btn (bataillon) suivi d’attaque de la Garde.

Le Btn, violemment bombardé par de l’artillerie lourde et décimé par des feux de mitrailleurs et d’une infanterie supérieure à la nôtre est complètement anéanti. … Dans l’après-midi le colonel reçoit l’ordre de résister coute que coute et d’organiser la position défensivement (insulte du Lieutenant Antheriat (Etat-major de la 2e DI de cavalerie) vis-à-vis des provençaux.)[9] »

Charge de l’infanterie française

L’Etat-Major commence à comprendre que l’avancée en Allemagne sera difficile mais quand le bombardement cesse, il donne l’ordre d’avancer. Avec des combats sporadiques, le 58ème s’enfonce dans le territoire allemand jusqu’au 19 août. L’affrontement reprend alors vers Dieuze.  « Dès l’arrivée sur les lisières nord de la forêt, les unités de couverture ouvrent le feu sur des détachements ennemis en marche sur les mêmes lisières. Ces détachements ennemis se précipitent dans des tranchées préparées à l’avance et l’artillerie ennemie entre immédiatement en action alors que la nôtre ne coopère en rien à l’action du 58ème RI…. Le feu concentré de l’Infanterie et de l’artillerie adverses devient formidable. » Pendant les deux jours qui suivent, le combat est intense et désorganise la troupe. Les Français sont rentrés sur un terrain où l’ennemi s’entraine depuis des années et a soigneusement préparé ses positions. Un régiment français, c’est autour de 3500 hommes. A Lagarde le 58ème RI a eu 969 tués. Les 19 et 20 août il perd encore 701 et 1170 hommes [10]. Si l’on ajoute les blessés, les disparus, le 58ème RI est désintégré. Il entame une retraite qui tourne à la débandade, poursuivi par l’armée allemande.

« La calunnia è un venticello »[11]

E il meschino calunniato,
Avvilito, calpestato,
Sotto il pubblic[12]o flagello,
Per gran sorte va a crepar

L’Etat-major français n’a pas dû être vraiment surpris de cet échec.  Les témoignages disent que Joffre, le commandant en chef prend les évènements avec un calme impressionnant. La guerre s’ouvre pourtant dans des conditions difficiles pour la France. « Pour évaluer les capacités militaires des uns et des autres, il faut … raisonner en termes de démographie globale. Le problème fondamental est qu’en 1914 la France comptait 39 millions d’habitants et l’Allemagne 69. En outre, en raison d’une natalité plus vigoureuse, la pyramide des âges allemande était plus favorable avec une plus grande proportion d’hommes jeunes. En 1914, la France compte un potentiel maximal mobilisable de 5 110 000 hommes de 18 à 48 ans, I ‘Allemagne 10 200 000. [13]» A ce déséquilibre, s’ajoutait un déséquilibre industriel. La mécanique et la métallurgie allemande étaient largement supérieures à celles de la France. Les alliances auraient dû rééquilibrer la balance. Mais la Russie n’a pas les capacités logistiques nécessaires. La France avait réussi en deux semaines à mettre 1 million d’hommes équipés de pied en cap sur la frontière, exploit dont est incapable l’armée russe. L’Angleterre a la première marine du monde, mais elle n’a quasiment pas d’armée de terre. Elle a simplement un petit corps expéditionnaire qui pèse peu dans ces premiers jours. Il faudra attendre la conscription et la bataille de la Somme en 1916 pour qu’elle joue un rôle dans les combats terrestres. Les deux principaux alliés laissent donc l’armée française seule face à un adversaire supérieur en nombre. Pour compenser tout cela, le haut commandement avait imaginé de bousculer l’adversaire en attaquant les premiers, en misant sur la « furia francese », la fameuse impétuosité française bien connue depuis les guerres d’Italie au XVIe. Cette stratégie dite « de l’attaque à outrance » était un pari. Il est perdu dès les premiers jours du conflit. Il faudra la désorganisation des troupes allemandes dans la poursuite des Français, pour permettre la victoire de la Marne. Ensuite l’enterrement dans les tranchées rééquilibrera les forces.

Mais tout cela n’a été expliqué ni à la population ni aux politiques. Adolphe Messiny le ministre des Armées se trouve devant un message difficile à faire passer. C’est lui qui a nommé Joffre en 1911. Messiny est un républicain convaincu. Ancien général, il avait dû démissionner de l’armée car il ne croyait pas à la culpabilité de Dreyfus. Il a choisi Joffre parce qu’ils partagent les mêmes idées politiques. Il a défendu devant le parlement la stratégie de l’attaque à outrance. Il lui faut donc trouver une autre explication de ce désastre.

Le 24 août 1914, le journal le Matin publie un article signé du sénateur Auguste Gervais et inspiré par De Messiny :

« LE RECUL EN LORRAINE

L’inébranlable confiance que j’ai dans la valeur de nos troupes et la résolution de leurs chefs me donne la liberté d’esprit nécessaire pour m’expliquer sur l’insuccès que nos armes viennent de subir en Lorraine.

Un incident déplorable s’est produit. Une division du 15° corps, composée de contingents d’Antibes, de Toulon, de Marseille et d’Aix, a lâché pied devant l’ennemi. Les conséquences ont été celles que les communiqués officiels ont fait connaitre. Toute l’avance que nous avions prise au-delà de la Seille, sur la ligne Alaincourt, Delme et Château-Salins, a été perdue ; tout le fruit d’une habile combinaison stratégique, longuement préparée, dont les débuts heureux promettaient les plus brillants avantages, a été momentanément compromis. Malgré les efforts des autres corps d’armée, qui participaient à l’opération, et dont la tenue a été irréprochable, la défaillance d’une partie da 15° corps a entrainé la retraite sur toute la ligne.

Le ministre de la guerre, avec sa décision coutumière, a prescrit les mesures de répression immédiates et impitoyables qui s’imposaient.[14] »

En somme, la défaite s’explique par la lâcheté des provençaux, amateurs de sieste, de pastis et de pétanque. Ils ont saboté l’admirable manœuvre imaginée par le général en chef.

Il y aura de multiples démentis, pendant la guerre ou après. Mais la calomnie laissera toujours des traces. Le 58ème RI reconstitué reprendra le combat. Il se bat jusqu’en 1919 sur le front russe, avant d’être dissous. Pourtant, ce régiment n’aura jamais ni citations, ni croix de guerre, ni médaille militaire.[15]

Que deviennent Albert Point et sa famille ?

Albert a sans doute été blessé le 11, le 19 ou le 20 août. Il doit suivre ses compagnons dans leur retraite, à pied ou en ambulance. Il est finalement fait prisonnier par les poursuivants allemands. Sa capture a lieu à Buzy, à 100 km en arrière de Dieuze le 25 août 1914[16]. Il est transféré à l’hôpital du séminaire de Montigny à Metz. Il y décède de ses « blessures de guerre » le 31 août 1914 et il est inhumé le 2 septembre au cimetière de la garnison de Metz[17]. Il avait 29 ans.

Dans un hopital de campagne

Laurence et Simone, sa femme et sa fille, ont dû quitter le logement de fonction d’Ansouis et sont retournées à Châteauneuf-de-Gadagne. C’est là que, cinq ans après, leur est transmis le jugement du tribunal d’Avignon officialisant sa mort, en date du 8 juin 1918. On imagine l’angoisse pendant ces 5 ans où elles sont dans l’incertitude de ce qu’est devenu le disparu. Le 29 avril 1919, Simone a enfin été reconnue pupille de la Nation. Laurence décèdera le 3 avril 1957 à L’Isle-sur-Sorgue ou elle était née en 1883. Simone mourra le 13 septembre 1997 à Avignon.

La mémoire d’Albert Point

Albert n’est pas sur la plaque d’hommage aux morts pour la France dans l’église d’Ansouis. Est-ce qu’il n’était pas un paroissien assidu ? C’est encore l’époque de la querelle des rouges et blancs en Provence.  Un instituteur est d’abord un défenseur de la République laïque. Est-ce que tout simplement sa mort n’est pas encore connue lorsque la plaque est gravée ?

En revanche, il est sur le monument aux morts d’Ansouis livré le 31 août 1921, place de la Vielle Fontaine. Il est aussi sur le monument de Châteauneuf-de-Gadagne où s’étaient retirées son épouse et sa fille. Le soldat mort peut être sur un monument pour peu qu’il y ait un lien entre lui et la commune. C’était le cas pour Albert Point qui avait été instituteur dans les deux communes.

Albert Point sur le monument de Chateauneuf de Gadagne

Son cahier sur l’Histoire d’Ansouis est resté dans les archives de la mairie. C’est là que Mme Thomas la secrétaire de mairie le trouve et le transmet à Lionel Guin. Celui-ci en écrira un livre avec l’aide de Jean-Claude Bonnet. Il sera publié par Ansouis Patrimoine au début de l’année 2023.

Les anciens combattants ont aussi rendu hommage à Albert Point, à l’occasion de la cérémonie du 11 novembre en 1998. A cette occasion Le président Yves Barnouin prononça ces mots : « Les sacrifices de toutes les générations doivent se traduire aujourd’hui en termes de paix et d’espoir. Nous en appelons à la conscience de chacun, en particulier à celle des jeunes, porteurs d’espérance, pour faire obstacle à la résurgence des démons du passé et poursuivre avec tous la construction d’un monde de paix, de justice et de liberté. [18]»

Albert Point (2ème nom à partir du haut) sur le monument d

Crédits

Texte de Thierry Fouque

Photos des monuments aux morts collection Thierry Fouque-Ansouis Patrimoine. La photo d’en-tête présente la statue du monument au mort de Chateauneuf-de-Gadagne.

Photo de classe : collection de la bibliothèque les Millesfeuilles

Documents extraits des Archives Départementales de Vaucluse désignés par le sigle : AD84

Photo de la mairie d’Ansouis (c) Région Provence-Alpes-Côte d’Azur – Inventaire général – Gérard Roucaute, 1970 IVR93_19708400919V

Dessins extraits de l’almanach Hachette éditions de 1917 et 1918


[1] Acte de naissance (AD84)

[2] Acte de mariage dans le registre de Châteauneuf-de-Gadagne (AD84).

[3] Livret militaire (AD84)

[4] Livret militaire (AD84)

[5] Voir registre des naissances de la ville de Saint Saturnin d’Avignon 1903-1912 (AD84)

[6] AD84 E-dépôt Ansouis 1R1 :  mobilier et matériel : acquisition et inventaire

[7] Recensement 1911 d’Ansouis (AD84)

[8] Article de presse dans la Provence paru à l’occasion du11 novembre 1998 où un hommage lui fut rendu (archives de l’Amicale des Anciens combattants).

[9] Journal de marche du 58ème RI (site Mémoire des hommes du ministère des armées)

[10] Jean Giroud et R&M Michel Les monuments aux morts dans le Vaucluse (1991 éditions Scriba)

[11] « la calomnie est un vent léger » (air de la Calomnie dans le Barbier de Séville de Rossini, livret de  Cesare Sterbini)

[12] « Et le pauvre calomnié, Humilié, piétiné Sous le fléau public, Par grand malheur s’en va crever. » (ibid.)

[13] Jean-Michel Steg Le jour le plus meurtrier de l’histoire de France : 22 août 1914 (2013 Fayard)

[14] Serge Truphémus Vaucluse 14-18 (2017 C’est-à-dire édition). Voir aussi sur ce sujet Maurice Mistre La légende noire du 15ème corps (2009, C’est-à-dire édition).

[15] Jean Giroud et R&M Michel Les monuments aux morts dans le Vaucluse (1991 éditions Scriba)

[16] Livret militaire d’Albert Point (AD84)

[17] Ibid livret militaire

[18] Article de presse paru dans la Provence à l’occasion du 11 novembre 1998 (archives de l’Amicale des Anciens combattants)

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